Bouchayer Le Chatelier suite 2

 

NAISSANCE DE L’INDUSTRIE GRENOBLOISE 

LES BOUCHAYER

 

Le chatelier jean

 

Texte de Jean Le Chatelier

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Revenons à l’entreprise Bouchayer et Viallet.

La société s’était lancée, au départ, dans les installations de chauffage et de ventilation et pour prendre quelques exemples de son dynamisme, entre 1870 et 1903, elle équipe en calorifères de toutes tailles de nombreux édifices : 72 églises dont la basilique Notre Dame de Fourvière à Lyon, des établissements de santé, des écoles, des gares dont celle de Lyon-Perrache, des théâtres, des hôtels, des banques, des usines etc.

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Entrée des bureaux de la société Bouchayer Viallet Photo Janvier 2013

La première conduite forcée, elle, date de 1879 elle sera suivie de nombreuses autres faisant de l’entreprise un leader mondial mais viendra, également, le  secteur très porteur  du transport de l’énergie électrique avec la fabrication et l’installation par milliers de pylônes électriques.

Ce développement spectaculaire sera l’œuvre d’Aimé Bouchayer le fils aîné de Joseph.

Celui-ci brilla au lycée de Grenoble où, à 14 ans il obtint presque tous les prix mais, pour des raisons de santé, il a terminé ses études à Marseille. Lors du baccalauréat il a été l’un des seuls à terminer l’épreuve de mathématiques aussi, à l’oral, l’examinateur s’est exclamé « Ah, c’est vous qui avez fait le problème de math» et il a répondu d’une façon désinvolte « non, c’est le fils de mon concierge ».
Le résultat un zéro pointé et interdiction de se représenter a l’examen au cours des années suivantes.

C’est ainsi que, sans diplôme, il est venu seconder son père dans sa jeune entreprise de chaudronnerie et qu’il est devenu trente ans plus tard  le personnage dominant du patronat local.

A vingt ans, en 1887 il entre dans cette maison et pendant quarante ans il va en être, sans trêve, l’animateur.

Je reviendrai sur son activité au sein de son entreprise et dans la Cité grenobloise mais auparavant je voudrais dire quelques mots sur ses deux frères Hippolyte et Auguste qui sont diplômés, tous les deux, de l’Ecole Centrale mais dont les destinées seront assez différentes.

Le troisième frère, Louis, est rentré dans l’entreprise mais mourra très jeune de la fièvre jaune sur un chantier en Colombie.

Commençons par Hippolyte Bouchayer

Félix Viallet et Joseph Bouchayer assistés du banquier Georges Charpenay avaient créé la société des Forces motrices et Usines de l’Arve, dont l’objet était la location, la vente et l’exploitation d’usines destinées à l’électrolyse, affaire splendide mais dure à démarrer comme toutes les affaires de houille blanche en raison de l’ampleur des capitaux à engager avant toute rémunération.

La direction des travaux est confié au jeune Hippolyte Bouchayer qui sort de Centrale promo 1894, ce sera sa première affectation mais il ne restera pas longtemps dans l’entreprise familiale, car il épouse en 1899 une riche héritière Emma Raymond .

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La maison de la famille Raymond Cours Berriat-Photo Avril 2013

C’est en 1886, que Pierre-Albert Raymond, son père, dépose plusieurs brevets et invente le bouton pression pour la ganterie or, à cette époque il se fabrique 20 millions de paires de gant par an comportant toutes, deux boutons de ce type.

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Une machine complexe du musée A Raymond Photo Avril 2013

Il assoie, alors, sa réputation auprès des industriels de la ganterie, du textile, de la maroquinerie et de la sellerie. Ce fut, pour cet homme, le début d’une aventure extraordinaire, il dépose son brevet dans de nombreux pays et surtout il se lance dans une politique d’innovations touchant à tout ce qui concerne les fixations par clip ou par collage en particulier dans l’automobile. Le succès est immédiat et mondial. Aujourd’hui l’entreprise contrôle plus de 30 sociétés réparties dans 21 pays  en Europe, en Amérique, en Afrique comme en Asie, 11 centres de recherche et de développement, plus de 850 nouveaux produits par an, plus de 1 000 brevets actifs. Son effectif dépasse les 4 500 personnes.

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Vue aérienne des ateliers A Raymond cours Berriat

La société A.Raymond est devenue le spécialiste mondial de premier plan dans le domaine des raccords pour la manipulation et le transport des fluides dans l’industrie automobile et elle est restée entièrement familiale. Après Albert puis Alain c’est Antoine Raymond qui dirige aujourd’hui l’entreprise.

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Une machine complexe du musée A Raymond Photo Avril 2013

A la suite de son mariage, Hippolyte Bouchayer qui a bénéficié d’un crédit important, va acquérir une part importante de la compagnie qui produit au départ de la cheddite, explosif chlorate et ensuite de l’aluminium. . Il s’associe avec le fils de Bergès et travaille avec lui une grande partie de sa vie. A la mort d’Aristide Bergès les  papeteries de Froges vont se transformer et devenir les Papeteries de France.

Hippolyte Bouchayer en sera administrateur pendant près de 50 ans et président du Conseil quelques années avant et après la guerre de 14-18. Son neveu Jacques Bouchayer un fils d’Auguste prendra sa suite à partir de 1948.

Hippolyte joua, également, un très grand rôle dans le rapprochement de Froges avec Alais et Camargue qui devint Péchiney en 1950, société dont il devint vice-président.

Il fera une carrière exceptionnelle. Un journal satyrique des années 30 cita Hippolyte comme faisant partie des 200 familles.

Hippolyte a, également, joué un rôle important lors de la création de la société grenobloise Merlin et Gerin qui, aujourd’hui, fait partie du CAC 40 sous sa nouvelle appellation Schneider Electric.

Paul-Louis Merlin est né en 1882 d’un père coiffeur. Il fait de brillantes études et sort ingénieur des Arts et Métiers d’Aix en Provence en 1901. Ses débuts sont difficiles, dessinateur d’études à Paris il complète ses revenus en étant conducteur de rames de métro. On raconte que son énergie débordante lui fait quelquefois dépasser  les stations.

Il revient à Grenoble et rentre chez Force et Lumière société qui sera plus tard intégré dans EDF, cela lui permet de se familiariser avec les problèmes électriques. Puis il rentre en 1905 chez Maljournal et Bourron dans une usine d’appareillage électrique.

En 1914 il est devenu directeur des fabrications avant d’être mobilisé. En 1916 il est affecté à Grenoble pour diriger une usine qui fabrique des explosifs, la société Fibrocol, celle-ci fabrique des explosifs et fait partie d’un groupe dirigé par trois personnes Hippolyte Bouchayer, Paul Corbin et Bergès.

Les 29 et 30 juin 1918 une série d’explosions secoue toute la ville de Grenoble et des communes voisines, les dégâts seront considérables mais Hippolyte Bouchayer dégage la responsabilité de Paul Merlin, ce dernier s’en souviendra.

Après la guerre il retourne, en effet dans sa première entreprise mais, en 1919, avec l’un de ses collègues Gaston Gerin, le chef du bureau d’études, ils décident, ensemble,  de monter leur propre entreprise.

C’est à ce moment là que Paul-Louis Merlin s’adresse à Hippolyte Bouchayer pour que ce dernier mette à leur disposition les locaux de la société Fibrocol qui avait cessé ses activités, il lui demande également de lui prêter 25 000 Frs.
Non seulement Bouchayer le fera mais il ouvrira, également,  à cette jeune entreprise le marché des centrales hydro-électriques. De son côté son frère Auguste Bouchayer lui apporte une des premières grosses commandes, le tableau électrique de la Centrale Drac Romanche.

Paul-Louis Merlin conservera toute sa vie, à juste titre, une grande reconnaissance à la famille Bouchayer.

L’autre frère d’Aimé, Auguste Bouchayer est donc, lui aussi, ingénieur de l’Ecole Centrale promo 1897. Il restera à Grenoble et s’adonnera à la recherche. Il méritera, dans les années 20, le titre de meilleur hydraulicien de France en raison de ses travaux sur les conduites forcées.

Il a inventé l’anti coup de bélier et surtout a été un précurseur en matière de stockage de l’énergie, cette technique qui consiste à utiliser l’énergie des centrales thermiques produite en période creuse pour remonter l’eau du bassin aval des centrales hydro-électriques vers la réserve en amont puis inverser le fonctionnement de la turbo pompe dans la journée. Tel est le cas de la centrale de Grandmaison dans la vallée de la Romanche.

Auguste est un ingénieur dans l’âme, capable aussi bien de résoudre les problèmes techniques qui se présentent que d’anticiper, d’imaginer de nouvelles façons de faire. Il dépose brevet sur brevet. En matière de conduites forcées, il invente le siphon automatique d’arrêt de débit, le tuyau enroulé en hélice, il revient un jour de Genève avec un projet révolutionnaire : affiner la fonte et la transformer par électrolyse en un fer très pur, résistant à des pressions d’eau beaucoup plus fortes ; il a très vite son usine d’électrolyse et présente ses prototypes à l’Exposition industrielle de Lyon en 1914.

Homme aux compétences multiples, il écrivit un ouvrage sur les « Chartreux Maîtres de Forges » et un autre sur la géologie du Drac. Jean Linossier a eu l’occasion de faire une conférence sur lui sous l’égide des Ecrivains Dauphinois le 14 février 2003.

Mais revenons à Aimé Bouchayer qui, jusqu’à sa mort en 1928 va, assumer la direction de l’entreprise, assisté de son frère Auguste et de son associé Maurice Viallet à partir de 1905.

Il fut un grand patron social, reconnu par ses pairs mais aussi par ses ouvriers. Il prit une grande part dans la réalisation des allocations familiales. Emile Romanet avait eu l’idée généreuse de donner un sursalaire aux ouvriers chargés de famille et il avait convaincu Régis Joya son patron. Mais cela mettait les Etablissements Joya en position difficile du fait de cette charge salariale que ne supportaient pas ses concurrents.

Aimé Bouchayer comprit ce que devait être sa mission. Il jouissait déjà, après la guerre de 14-18, en Dauphiné et en Savoie, d’un grand prestige. Il venait de créer l’Association des Producteurs des Alpes Françaises l’APAF qui réunissait sept cents industriels et il leur demanda de se joindre à l’initiative généreuse d’Emile Romanet et il fut suivi.

C’est une époque où il n’y eut guère de grande firme qui ne désirât s’assurer de ses conseils et même de sa participation. La désignation de ses postes d’administrateurs tient sur plusieurs pages.

Je prends comme exemple les papeteries Navarre. André Navarre avait répondu à une demande d’Aristide Bergès pour sa papeterie de Lancey mais finalement était rentré comme associé dans les papeteries Lafuma de Voiron. La société hydroélectrique de Fure et Morge venait de mettre en service, en 1903, sa grande centrale de Champ sur Drac et Aimé Bouchayer cherchant des clients industriels, propose à Navarre de mettre à sa disposition un terrain à proximité de la centrale.

Jean Bouchayer raconte l’entrevue : Aimé Bouchayer fait venir André Navarre dans son bureau. Il avait déjà en mains  son projet de créer dans la région une fabrique de cartons en utilisant « les chevaux de nuit des réseaux électriques ». Après quelques minutes  de discussions précises et serrées comme savait les conduire mon père, ce dernier lui dit « si vous le voulez, nous allons essayer de mettre sur pied votre affaire »

***

André Navarre crée la société des cartonneries de l’Isère, Aimé Bouchayer en prend la présidence et fait venir à ses côtés des hommes comme André Neyret, Charles Lépine, le cimentier Nicolet, le banquier Charpenay.

Bernard Navarre rejoint son frère aîné en s’intéressant, plus particulièrement, à l’industrie des pâtes de cellulose, libérant ainsi la France d’une partie de ses importations. Il épouse Jeanne Vollaire la propre nièce d’Aimé Bouchayer et renforce ainsi par des liens familiaux, les associations économiques et industrielles.

Les deux frères Navarre vont créer l’Union française de papeterie regroupant Voiron, Champ sur Drac, Monfourat en Gironde, achetée avec la dot de Jeanne Vollaire et Roanne acquis avec une participation financière d’Aimé Bouchayer.

En 1920 le groupe Navarre deviendra l’une des premières entreprises de sa branche mais, engagé dans de nombreuses acquisitions le groupe va subir durement la crise de 1921. Seules, l’engagement d’Aimé Bouchayer et la confiance des banquiers lui permettront de poursuivre ses activités. Le groupe sera repris en 1932 par St Gobain.

En 1906, les Forges d’Allevard opèrent une large reconversion vers la métallurgie fine et font appel à ses actionnaires traditionnels qui s’appellent  de Renéville le patron des Mines de la Mure, Neyret, Charpenay, le banquier et bien sûr Aimé Bouchayer. Plus tard la société qui avait pris une dimension nationale est passé sous le contrôle de Marine et Homécourt.

Toujours à cette même époque Charles-Albert Keller et Leleux viennent s’installer dans la vallée de la Romanche pour bénéficier des forces hydroélectriques et créent un véritable empire industriel. Aimé Bouchayer va intervenir pour régler un grave différent entre la société Keller et Leleux, la commune de Livet et la ville de Grenoble, cette dernière souhaitant bénéficier de la production électrique de la Romanche.

Puis survint la guerre.C’est le 2 octobre 1914,Aimé Bouchayer est à Bordeaux,le ministre de la Guerre le prie d’installer dans le plus bref délai une forge donnant 1 000 obus par jour. C’est toute une nouvelle usine à construire, son frère Auguste s’y attelle et moins de 3 mois après, elle tourne et les premiers obus sortent des presses le 31 décembre, lesquels eurent le meilleur taux d’explosion de toute la production française. De 1 000 obus par jour au début de 1915 on passe en 1917 à 9 000.

Pendant toute la durée de la guerre l’entreprise a dû assumer non seulement la fabrication des obus mais la fabrication et le montage des conduites forcées pour équiper les nouvelles centrales hydroélectriques dont le pays avait un grand besoin.

Aussi l’usine qui s’était agrandie occupait, à cette époque, plus de 3 000 personnes.

Vers la fin de la guerre, le ministre Loucheur dit à Aimé Bouchayer « vous avez 600 ouvrières qui ont été embauchées pour la fabrication des obus, vous allez devoir  les licencier à la fin de la guerre et vous devez trouver une solution pour les reconvertir »

Aimé Bouchayer se porte, alors, acquéreur d’une petite fabrique de chocolat située rue de Strasbourg, dénommée le chocolat Dauphin. Avec le directeur en place il décide d’installer cette chocolaterie sur des terrains de la rue Ampère sur 5 000 m2 après avoir trouvé un client américain qui s’engage à acheter dix tonnes de chocolat par jour pendant 10 ans.
Mais l’usine, une fois construite, avec son propre argent, les américains se dédisent. C’est une catastrophe d’autant plus qu’Aimé Bouchayer est loin d’être un spécialiste des produits alimentaires. A cette époque Félix Cartier-Million s’est séparé de son frère qui dirigeait les pâtes Lustucru, Aimé Bouchayer envoie son chauffeur le chercher à Toulon où il s’était retiré. Félix qui aime les défis accepte de reprendre l’affaire et il s’associera avec  Maurice Douillet, son directeur des finances, qui fut, aussi, mon beau-père et Ferdinand Beccaria son directeur technique.

 

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Dans le livre la Saga des 25 il est rappelé l’épisode suivant : Cartier-Million qui a le sens commercial décide de créer une marque et il choisit « Chocolats Marquise ». Rentrant à la maison il annonce la nouvelle à sa femme qui lui dit mais qui a eu cette idée stupide et Félix lui répond c’est moi et c’est comme cela qu’est née la marque CEMOI

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Jean Le Chatelier-Novembre 2012

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Date de dernière mise à jour : 2019-01-12

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